Un autre été est arrivé et dans l’archipel nordique des îles Féroé, les fjords rougissent à nouveau du sang de nombreux globicéphales.
Ces fameuses chasses féringiennes, ou grindadráp, comme on les appelle localement, ont provoqué un tollé dans une grande partie du monde occidental depuis qu’elles ont été exposées pour la première fois aux caméras étrangères dans les années 1980. Pendant des décennies, diverses organisations de conservation et de protection se sont appliquées à essayer d’arrêter cette destruction de baleines et de dauphins, avec, il faut le dire, très peu de résultats.
Quiconque s’intéresse à cette question connaîtra déjà bien les acteurs militants les plus en vue de cette tragédie qui ne cesse de se dérouler. Des guerriers de l’océan autoproclamés, connus pour leurs proclamations grandiloquentes de « guerre » contre les nations baleinières et leurs longues tirades auto-indulgentes, enfilées d’insultes puériles contre tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sur les réseaux sociaux.
Près de quarante tristes années de cette approche contre la chasse à la baleine dans les îles Féroé n’ont jusqu’à présent réussi à produire aucune protection durable pour les baleines, mais ont apparemment assez bien réussi à séparer de leur argent pas mal de naîfs pleins d’espoir.
Pour les étrangers qui s’y opposent, il s’agit d’un problème de meurtre « insensé » d’une vie marine charismatique et à gros cerveau, tandis que pour les insulaires, il s’agit de défendre les aliments d’origine locale et, dans une moindre mesure, d’un problème de tradition, de fierté et de culture. Bien que plus de la moitié et peut-être jusqu’à 2/3 des Féringiens ne tuent ou ne mangent jamais, ou que très occasionnellement ces baleines, l’approbation du public reste élevée, à environ 85 %.
Le moteur principal du grindadráp est censé être de fournir ce que les insulaires appellent une source de nourriture « gratuite ». Malheureusement pour eux, les globicéphales en tant que prédateurs au sommet accumulent des quantités extrêmement élevées de polluants toxiques dans leurs tissus. À tel point que les autorités sanitaires féringiennes ont jugé que la viande de baleine est « impropre à la consommation humaine » et ont recommandé à leur propre gouvernement d’interdire la substance en raison de sa toxicité.
Cependant, comme aucun politicien Féringien ne veut risquer un sérieux recul de sa popularité en défendant cela, une interdiction pure et simple n’a jusqu’à présent pas été sérieusement envisagée. Au lieu de cela, l’Association alimentaire et vétérinaire des Féroé a émis ses propres recommandations plus acceptables sur des quantités soi-disant « acceptables », quoique plutôt infimes, de chair de baleine pouvant être consommées sur une base mensuelle, bien qu’il soit toujours conseillé aux femmes en âge de procréer de l’éviter complètement.
Alors que les Féringiens plus soucieux de leur santé ont décidé de s’abstenir de viande de baleine à cause de cela, d’autres, en particulier les hommes qui aiment participer au grindadráp, semblent penser que le mercure, le plomb, le DDT et les PCB ne font pas le poids face à un beau, fort baleinier. Ainsi la détermination scientifique de l’Autorité sanitaire, selon laquelle la chair est impropre à la consommation humaine, est ignorée, et la situation malheureuse perdure.
Les étrangers se promenant, arborant leurs marchandises de marque activiste, balancent leurs injures, agitant des drapeaux, pointant du doigt et des caméras, tout en se moquant de toute la population des îles comme rien d’autre qu’un groupe de psychopathes dépravés, vicieux, barbares et meurtriers se sont révélés incapables de bouger l’aiguille sur cette question. Et ce n’est pas étonnant – c’est une tactique d’intimidation qui cherche à forcer ou à faire honte à ceux qui ne sont pas d’accord avec eux pour qu’ils se soumettent. Cependant, il semble que cette approche plutôt américaine ne fonctionne pas avec les fiers descendants des Vikings. Plus de trois décennies de cette approche n’ont rien prouvé sinon cela. Il a également prouvé que le prêche aux convertis est rentable.
Il est facile de fanfaronner, de faire du bruit auto-glorifiant, tout en montrant des photos sanglantes partout dans les tabloïds et sur Internet – un processus conçu pour provoquer l’indignation et l’horreur du public. Et ne vous y trompez pas, en cette époque d’activisme de l’Internet, votre indignation a été monétisée. Elle est déclenchée à dessein. « Cliquez pour faire un don ici et nous mettrons fin à cette atrocité ». Pourtant, près de quatre décennies ont prouvé que ce n’était pas le cas. Notre horreur et notre indignation sont peut-être authentiques, mais elles sont aussi totalement inefficaces.
Ceux qui se soucient suffisamment de cette question pour avoir pris le temps de se familiariser avec sa longue histoire, comprennent qu’à ce jour, la situation aux îles Féroé n’a pas été bien gérée. Un changement durable est une quête beaucoup plus difficile, qui nécessite de la sensibilisation, de la patience, de la diplomatie et le travail difficile de se connecter avec les personnes mêmes qui perpétuent la pratique néfaste, quelle qu’elle soit. Les actions ne changent pas à moins que l’esprit des auteurs ne change également, et ce type de changement culturel nécessite du temps et des efforts. Il n’y a pas de solution de « clic rapide », même si nous souhaiterions qu’il en soit ainsi.
Malgré la façon dont les médias extérieurs font illustration des Féringiens, ils sont parmi les premiers à utiliser un système de gouvernement démocratique. Certains pourraient être choqués d’apprendre que la plupart des habitants des îles sont bien éduqués, parlent plusieurs langues et accueillent les visiteurs civils de manière ouverte et amicale.
Des discussions sur des opinions divergentes sur diverses questions, y compris le grindadráp, sont attendues et autorisées. Et il y a des insulaires qui se questionnent sur la continuation des chasses pour diverses raisons.
Mais la seule façon qu’ont les objections d’un étranger d’être sérieusement considérées, ou même entendues, est de gagner un siège à la table de discussion. Sinon, de telles objections sont rejetées comme des élucubrations hors de propos et enragées d’étrangers et, par conséquent, sont sans conséquence.
Lorsque le cirque activiste avide de gros titres se présente pour une autre saison futile de bruit inefficace, une chose très prévisible se produit. La discussion interne Féringienne sur la chasse à la baleine s’arrête et les insulaires présentent à la place un front uni contre les étrangers hostiles. C’est ainsi que les Féringiens ont affronté et résisté à d’innombrables menaces extérieures pendant des centaines d’années. À moins de vivre sur une petite île soi-meme, ceci est peut-être difficile à comprendre.
Il y a cette idée que « faire quelque chose » est mieux que « ne rien faire », mais quand ce « quelque chose » a pour effet d’aggraver une situation donnée, alors évidemment ce n’était pas la meilleure option. Il y a plus d’une décennie, les bouffonneries inefficaces d’activistes cherchant à produire des « médias saisissants » pour une autre émission de télé-réalité sensationnaliste, ont produit des résultats aussi indésirables qu’inattendus. Des semaines durant, entre autres idées farfelues, des activistes ont harcelé des mamans Féringiennes poussant leurs landaus, ou interféré avec des régates nautiques, entraînant une vague inédite de jeunes Féringiens, désormais désireux d’apprendre à tuer les globicéphales et déterminés à défendre à la fois le massacre des baleines et leur fierté culturelle.
Les observateurs extérieurs ainsi que les Féringiens pour et contre le grindadráp s’accordent sur une chose : le mauvais comportement public de ces militants trop zélés est précisément ce qui a précipité cette tournure des événements, insufflant à eux seuls une nouvelle vie à la pratique d’un autre temps de la chasse à la baleine. Pratique qu’auparavant de nombreux insulaires convenaient qu’elle devait s’éteindre naturellement en une génération.
Bravo. Les donations ont été bien dépensées.
Maintenant, nous voici, plus d’une décennie plus tard, avec la chasse à la baleine Féringienne toujours aussi forte et une autre campagne militante qui se déchaîne. Semble-t-il que quelque chose a été appris? Malheureusement non. Ce qui est proposé est juste dose après dose de la même chose.
Les baleines ne méritent-elles pas mieux ? Les baleines ne méritent-elles pas des campagnes plus efficaces qui peuvent conduire à une protection durable et efficace contre la chasse ? Parce que nous devrions vraiment savoir maintenant ce qui ne fonctionne manifestement pas.
Heureusement, il existe une autre voie à suivre, celle qui reconnaît que le moyen d’obtenir des protections durables pour les baleines est de travailler avec les peuples des nations baleinières, de trouver un terrain d’entente et de cultiver une volonté de déplacer le problème. Certes, cela implique 100% moins d’expression de rage et de haine en ligne, mais nous sommes censés être là pour les baleines, pas pour indulger notre colère, n’est-ce pas ?
Impossible vous dites ? Et pourtant c’est ce que nous voyons se produire en ce moment en Islande.
Au départ, il y a des années, c’était le même cirque – des fanfaronnades de guerre, des vaiseaux baleiniers ont été coulés – des actes considérés par les Islandais comme du terrorisme – entraînant de manière prévisible un énorme afflux de soutien national pour la poursuite de la chasse à la baleine, et beaucoup de méfiance envers les militants et leurs tactiques illégales. Ainsi, les choses se sont maintenues pendant de nombreuses années, tandis que le nombre de morts de baleines s’accumulait.
Il a fallu beaucoup de temps pour qu’un nouveau genre d’initiative de protection surgisse. Cela impliquait des personnes disposées à travailler discrètement, principalement dans les coulisses, main dans la main avec des Islandais compatissants au sort des baleines. Une industrie de « whale watching » a été créée et entretenue, ainsi qu’un musée des baleines dans le centre-ville animé du port de Reykjavik, pour aider à susciter l’intérêt et l’appréciation des animaux vivants. Des campagnes ont encouragé les touristes à éviter de manger de la viande de baleine lors de leur visite en Islande. La confiance, et le dialogue sur la cruauté innée de la chasse à la baleine ont été établis et ainsi, un nombre croissant d’Islandais – notamment de décideurs Islandais– ont été amenés à soutenir l’effort.
Cela a pris des années, mais maintenant une majorité d’Islandais s’oppose à la poursuite de la chasse à la baleine et cet été, la dernière licence de la société baleinière islandaise a été suspendue, pour des raisons de bien-être animal. Quelque chose comme ça aurait été impensable, il y a quelques années à peine.
Actuellement, des éléments clés du gouvernement Islandais tentent de trouver une voie vers l’arrêt définitif de la chasse à la baleine. Gardez à l’esprit que ce n’est pas une tâche facile avec des voix puissantes du secteur des affaires et de l’industrie de la pêche Islandaise profondément opposées à l’idée que quelque chose d’aussi « insignifiant » que le bien-être animal devrait oser entraver leur profit, ou « l’exploitation des ressources naturelles ».
Le travail pour mettre fin à la chasse à la baleine en Islande se poursuit et le rôle de l’activisme extérieur dans cette équation reste marqué non pas par des bannières hurlantes ou des proclamations hyperboliques de « guerre », mais plutôt par une détermination et une humilité discrètes et diplomatiques, aidant à cultiver une masse critique d’objection nationale à la chasse à la baleine. Rien de moins n’est capable de mettre fin à la chasse à la baleine dans un pays où elle reste fermement ancrée.